Archives 2018-2019·Ouverture culturelle . Saison 2018-2019

May B

Maguy Marin
Théatre de la cité


May B, créée en 1981 au Centre national de danse contemporaine d’Angers est un spectacle de danse théâtre monté par Maguy Marin, importante chorégraphe de la Nouvelle danse française. Il reprend plusieurs scènes de pièces écrites par Samuel Beckett. Le spectacle s’ouvre sur une scène complètement noire où entrent dix danseurs vêtus de guenilles blanches et recouverts d’une poudre de la même teinte. Cette poussière portée par les danseurs peut rappeler une certaine désolation de fin du monde “Souviens-toi que tu es né poussière et que tu redeviendras poussière. » On remarque également que certaines parties du corps (oreilles, nez…) hypertrophiés à l’aide de prothèses, comme si cette laideur “esthétisée” traduisait aussi l’idée d’un monde dystopique, détruit.
Commence ensuite une fête, des musiques de carnaval sont rythmés par des danses joyeuses, mais cette liesse générale se transforme peu à peu en une scène grivoise, où les danseurs s’agrippent de manière explicite les uns aux autres, tout en poussant des soupirs affichant une lubricité certaine. Cela dénote d’un rapport assez cru à la sexualité chez Beckett. Mais les soupirs se transforment bien vite en lamentation. Une bagarre prend alors place symbole du ridicule de la violence humaine.
Toutefois on remarque que le groupe de danseurs est utilisé à la fois comme une entité à part entière, grâce à une synchronisation des mouvements quasi parfaite, mais aussi ensuite place à des passages individuels permettant d’humaniser cette “masse”. La première partie se termine sur l’ouverture d’une porte dans le fond de la scène qui permet aux acteurs de lentement quitter le plateau. Ils réapparaissent ensuite changés: leurs nouveaux costumes, bien que toujours couverts de poussière, ont gagné en couleurs et évoquent probablement de par leur aspect débraillé, leurs paquetages et la coupe des vêtement, les migrations européennes du début du XIXe siècle.
On peut alors clairement reconnaître les images beckettiennes : Clov et sa valise (fin de partie), Pozzo et Lucky (En attendant Godot) promené par un noeud coulant, au bout d’une longue corde. Certain mouvement sont d’ailleurs directement repris des didascalies de beckett, notamment la danse du filet de Lucky.
L’un des personnages se met ensuite à chanter “joyeux anniversaire”. Les personnages se partagent alors le gâteau de manière très inéquitable en se servant plus que de raison, sans se soucier d’autrui, démontrant certainement ainsi l’avarice et les disparités de nos sociétés.
Commence enfin un “départ sans fin”: les danseurs s’enfuient de la scène mais y reviennent sans cesse. Comme une métaphore de leur incapacité  à quitter leurs conditions d’êtres absurdes, contraints de s’éreinter dans des tâches répétitives vides de sens. Ce perpétuel retour est d’ailleurs appuyé par la douce et lancinante musique “Jesus blood never failed me yet”. Mais une touche d’espoir presque grinçante apparaît dans les paroles “Jesus’ blood never failed me yet; This one thing I know; That He loves me so”.
Cette oeuvre Maguy Marin a réussi à rendre hommage au travers de la danse, à la vision tragi-comique de Beckett et à sa satire grinçante. On note également un certain goût du grotesque magnifié dans ce spectacle notamment par l’utilisation de prothèses pour déformer le corps, et de l’emploi de bruitages et mimiques particuliers, tout en cherchant à aller vers une certaine esthétisation grâce, notamment, à l’écriture chorégraphique et à l’esthétique de la poussière.